CULTURE – Philippe Cantinol : l’autre parole du jazz

Né en Martinique, Philippe Cantinol vit et travaille en Ile-de-France. C’est un musicien, parolier, performeur, soucieux du détail, d’une grande élégance gestuelle et dont le flot de paroles est unique.

Philippe Cantinol allie puissamment le rythme jazz et le verbe ; il est parfait dans la composition de l’accélération tourbillon et très juste dans l’alliance du mouvement du corps avec la fabrication d’un phrasé rapide puis très lent. Tout son corps vibre, il se balance, hoche de la tête, tressaute, ses épaules tremblent. Son corps, d’une grande souplesse, mime tous les temps et situations de vie, respire la légèreté et le charme des grandes personnes quand sa voix caresse, percute, ordonne et charme.

Philippe Cantinol se situe dans la lignée des représentants de l’oralité afro-caribéenne et couronne de fait, d’une éloquence virtuose, la parole délivrée, façon conteur des mornes mais pas tout à fait. Il transmet d’une poétique exclusive, l’esprit « Caraïbe » . La force de Philippe Cantinol (Filip Kantinol) se trouve avant tout dans la puissance évocatrice des résistances pour tous les exils et souffrances humaines.

Parce que Filip Kantinol parle de beauté, de disparition, de douleur et de pacification dans la même phrase et avec la même émotion, il apaise – parce qu’il cite Césaire : « Donnez à mon âme la trempe de l’épée, faites de moi un homme de terminaison, faites de moi un homme d’initiation, faites de moi un homme de recueillement, faites de moi un homme d’ensemmancement… » -, il relie. Si la figure humaine créole dans toute sa complexité, produit de son propre héritage, occupe une place centrale dans son expression musicale et ses textes, elle questionne avant tout le lien et les dimensions humanistes et universelles. Tout en effet avec lui semble relié, accordé.

HÉRITIER DES CENTRES CULTURELS

 

D’une grande liberté d’expression, Kantinol frôle l’exploit sur un duo piano/chacha. Il se retrouve en suspension, au bord du vertige et développe des ouvertures inédites. Il joue en effet du chacha dans l’autre sens, non pas seulement le corps courbé vers le sol en célébration de la terre nourricière mais le buste contre-arqué, omoplates serrées l’une contre l’autre, bras libérés au dos, instruments vibrants en mains. Sur une reprise de Les yeux noirs de Adalgiso Ferraris et de On ti berceuse d’Alain Jean Marie, les musiciens à l’unisson tous autant puissants, concentrés, il excelle dans Abraham Hanibal, une adaptation du livre de Dieudonné Gnamankou, l’histoire du rapt d’un enfant aux confins du Tchad et du Cameroun actuels, le fils du prince de Logone qui sera conduit de Constantinople en Russie auprès du Tzar, et qui donnera naissance à un fils, Joseph, aïeul dudit Alexandre Sergueïevitch Pouchkine.

A travers les déséquilibres volontaires et les tentatives de chutes de Blagloire, l’ivresse personnifiée, on commence à saisir le point prédominant se situant sur le pied, entre le talon et le gros orteil. Cette surface plantaire oscillera continuellement jusqu’à trouver grâce sur l’axe vertical du corps… le centre de gravité et la sobriété.

Héritier des centres culturels instaurés par Césaire, celui d’André-Aliker situé dans les quartiers populaires de Fort-de-France (Morne Pichevin, Sainte-Thérèse) Kantinol s’initie à la danse, au théâtre, au mime et au pantomime aux côtés de grandes personnalités internationales : Acame, Jaime Jaimes ou Benjamin Jules-Rosette. Il découvre Le Roi Jones et son itinéraire artistique commence tout juste.

Ses moments d’incantation sont relatifs à la qualité de présence d’avec ceux qu’on aime. Filip
Kantinol insiste sur le fait qu’il compose avec son public. Puis, il laisse apparaître le double lui même sur une frontière indécise qui se redessine perpétuellement.

Incontournable chapeau bakoua subtilisé à la grand-mère, veste et pantalon smoking noir de rigueur, chemise blanche façon jabot, cravate rouge, boutons de manchettes, bracelet argent pur, chaussettes rouges, sandales plastiques jaunes : quand l’enchantement performatif s’aligne sur un ordre parfait, il abolit les convenances, dès lors, les vêtements et accessoires deviennent cohérents, ils configurent la désinence parfaite des codes… dans le club de jazz et sous n’importe quelle latitude.

 

– Pour la troisième fois, le Bab-Ilo Club a présenté, les 3 et 4 févier, le quatuor Pawol en Jazz consacré à Philippe Cantinol créé avec et autour d’Alain Jean-Marie, de Jean-Claude Montredon, Thérèse Henry et de Charles Hamed Barry.

 

France-Antilles Martinique 17.02.2017

Sylvie Arnaud

Cet article est paru sur le site de France-Antilles Martinique : http://www.martinique.franceantilles.fr/une/philippe-cantinol-l-autre-parole-du-jazz-401644.php